Jean-Luc Mootoosamy

"Au nom de tous les miens" par Jean-Luc Mootoosamy


Rédigé par Jean-Luc Mootoosamy le Vendredi 20 Mars 2020

A Maurice, le nombre de cas de Coronavirus augmente. Des habitants, en confinement pour 15 jours depuis le 20 mars, réclament davantage d'informations sur la propagation du virus sur cette île de l'océan Indien. La perte de confiance vis-à-vis de l'Etat enfle. Dans ce contexte, je me permets ces quelques lignes au chef du gouvernement de mon pays d'origine.



@ Eric Vazzoler
Monsieur le Premier ministre, l’Histoire vous place aujourd’hui dans ce rôle particulier de Père de la nation. Père d’une nation angoissée, d'un pays tétanisé par un ennemi invisible qui a passé ses frontières. Le temps des bilans viendra pour analyser la faillite d’une politique de portes-ouvertes sur Maurice en pleine crise sanitaire mondiale. Aujourd’hui l’urgence est de rassembler la population avec toutes ses sensibilités politiques, de mener et faire preuve de leadership. Et il vous appartient, Monsieur le Premier ministre, de trouver les mots, le ton pour convaincre et rassurer. A vous d’incarner cette autorité, cette parole crédible, respectée.

Mais voyez-vous, Monsieur Pravind Jugnauth, votre silence de près de 24 heures et votre apparition de 5 minutes et 40 secondes ce jeudi, alors que la maison Maurice tremble, laisse songeur. Vous intervenez à 21h45, face à un public épuisé à vous attendre, pour annoncer un confinement national effectif à 06h00 le lendemain matin. Et personne après vous, ne vient faire le « service après-vente » pour décliner les détails de cette mesure exceptionnelle en vigueur 8 heures plus tard. De votre intervention, nous retenons l’heure du lockdown et surtout un chiffre. En 24 heures, 4 nouveaux cas de contamination au Coronavirus ont été enregistrés, portant le nombre de malades à 7 sur le territoire mauricien. Vous affirmez que tout se fait dans la transparence et pourtant, c’est au « compte-malades », comme au compte-gouttes, que vous communiquez l’information.

Monsieur le Premier ministre, 5 minutes 40 secondes de discours enregistré ne suffisent pas. Permettez-moi, s’il vous plaît, de vous demander ceci :

- Expliquez pourquoi un confinement est impératif pour éviter la propagation de la maladie, pourquoi la discipline doit primer.

- Dites pourquoi cette ruée vers des supermarchés ce jeudi 19 mars est exactement ce qu’il ne faut pas faire car cela augmente le risque de propagation de la maladie.

- Considérez à nouveau les conditions de mise en quarantaine pour éviter de contaminer tout un groupe de personnes.

- Appelez la population à de la bienveillance vis-à-vis des malades du COVID-19 pour qu’ils vivent cette épreuve dans la dignité et que leurs noms ne soient pas livrés en pâture au public.

- Adressez-vous aux plus pauvres, ceux qui n’ont pas les moyens de remplir des voitures de provisions pour leur dire que la République les aidera à trouver de quoi manger et boire pendant ces prochains jours, ces prochaines semaines.

- Parlez aussi aux citoyens qui purgent des peines de prison pour qu'ils se sentent aussi concernés par les mesures de protection que vous prendrez.

- Expliquez comment chaque Mauricien pourra accéder à l’information sur l’état de contamination dans le pays.

- Précisez qui sont les personnes à risques et donc ceux qui doivent absolument être protégés.

- Dites clairement combien de kits pour les tests sont disponibles actuellement à Maurice et ce que cela implique en termes de dépistage.

- Dites aux citoyens Mauriciens comment ils pourront avoir accès à des masques de protection et l’état du stock.

- Faites le point sur le nombre de lits disponibles dans les services hospitaliers ainsi que le nombre de respirateurs artificiels aujourd’hui disponibles dans le pays.

- Rassurez le personnel hospitalier qui sera sollicité comme jamais dans notre République et appelez à la solidarité envers ces hommes et ces femmes qui seront au front.

Monsieur le Premier ministre, en ces temps de crise, l’information factuelle, claire, est un bien de première nécessité, la meilleure parade contre les rumeurs de plus en plus persistantes et très largement diffusées. Les Mauriciens sont capables d’entendre les bonnes et les mauvaises nouvelles. C’est en leur offrant cette parole de vérité qu’ils comprendront l’impératif de rester chez eux et ce qu’ils peuvent faire, chacun, à leur niveau, selon leurs moyens, pour coincer ce virus.

Monsieur le Premier ministre, notre peuple est doté d’une force de caractère incroyable lorsqu’elle est sollicitée. Je suis persuadé qu’il est prêt à livrer sa plus grande bataille post indépendance. Il suffit de savoir le mobiliser. Monsieur Jugnauth, je vous demande de ne pas perdre une seconde, au nom de tous les miens.

A propos de l'auteur : Après l’aventure Radio One, Jean-Luc Mootoosamy a été journaliste et gestionnaire de programmes médias en zones de conflits. En novembre 2017, il lance « Media Expertise », avec des professionnels de médias pour des missions de terrain. Il a exercé comme consultant pour, entre autres, l’Organisation Internationale pour les Migrations, et l’Agence Française de Développement. Texte publié dans le "Club Mediapart". 
 

Vendredi 20 Mars 2020