Menu

Un autre regard

"Safety" - Entretien avec Teshil Gangaram


Rédigé par E. Moris le Mercredi 17 Juillet 2019

Teshil Gangaram est un jeune Mauricien passionné de montagnes. Il a participé avec Xavier Koenig au 7 Summits Africa en 2018. Une aventure qui les ont emmené en Ouganda, au Kenya et en Tanzanie en traversant des forêts primaires et des glaciers.



Joseph, Zia et Teshil (g a dr.) Première randonée qu'ils ont fait ensemble pour traverser les sommets entre la montagne des Signaux au sommet du Pouce.
Joseph, Zia et Teshil (g a dr.) Première randonée qu'ils ont fait ensemble pour traverser les sommets entre la montagne des Signaux au sommet du Pouce.
Vous souhaitiez réagir face au drame à la Montagne Le Chat et La Souris où votre ami Joseph On a disparu. Comment aviez-vous appris la nouvelle ?

Je pense, pour tous ceux qui le connaissait, ce drame est comme un choc. Personne ne s’y attendait. Je suis en ce moment à Singapour et le jour du drame, j’ai lu un article en ligne qui signalait que des randonneurs s'étaient égarés sur la Montagne Le Chat et La Souris. Je pensais que ces derniers avaient peut-être eu du mal à retrouver leur chemin. Je suis parti au lit sans trop me soucier et le lendemain je me suis réveillé avec plusieurs messages. Ces personnes me demandaient si j’avais reçu la mauvaise nouvelle. J’ai tout de suite pensé  que quelque chose de grave s'était déroulée...notre cher Joseph On avait perdu la vie.

C’était assez choquant parce que Joseph On n'est ni un novice, ni un amateur. Il connait bien le parcours. Il avait eu droit à une formation en Australie pour les descentes en rappel en toute sécurité.

La première fois que j’ai rencontré Joseph, il a tout de suite gagné mon respect, de par sa passion pour l’aventure (plus précisément les montagnes de Maurice). On évoquait l'idée d’écrire un livre ensemble pour partager sa richesse et ses expériences aux mauriciens. Même si cela n’a pas été possible, cela me réchauffe le cœur de voir qu’il a pu inspirer jeunes et moins jeunes, en témoigne les nombreux messages de sympathie sur les réseaux sociaux.
 
Si l'émotion est grande face à la disparition de ce passionné de randonnée, certaines voix s'élèvent contre les risques encourus lors de cette escalade. Quel regard portez-vous sur ce qui est arrivé ?

On est tous prompt à critiquer après un accident, on se sent tous des ‘hind-sight expert’. Bien sûr que la montagne comporte des risques, bien sûr que tout accident peut être éviter.

"Si seulement, ils étaient plus vigilants, si seulement, ils étaient encordés, si seulement ils ne s’étaient pas aventurés sur la montagne…si seulement, si seulement".
La liste de "si seulement" peut être vraiment longue, mais ça ne va rien changer. Toutes activités à ses risques et il faut seulement savoir prendre des risques calculés. Je pense que Joseph avec l'expérience qu'il avait, a pris son propre risque calculé, mais quelque part il a omis quelque chose ou à moins que la chance n’était pas avec lui.
 
Pensez-vous qu'il était possible d'éviter ce type d'accident ?

Comme j’ai dit, on ne peut pas être des ‘hindsight expert’, mais ce que je peux dire c’est la façon dont on doit faire face aux risques. Savez-vous que Singapour a été classifié comme le pays le moins dangereux à vivre au monde selon la  World Justice Project. Malgré cela, le message du gouvernement est ‘"t’s not a question of whether we will get a terrorist attack but it’s a question of WHEN we will get a terrorist attack’". C’est un changement de mentalité qui est nécessaire.

Si on commence à vivre avec cette ‘nouvelle’ façon de penser, on ne laisse pas de place pour un élément de chance dans l’équation. Cela peut se traduire par : mettre sa lampe frontale dans le sac, emmener suffisamment d’eau et de quoi manger, informer un proche de la location de la prochaine sortie, de bien sécuriser les points de rappel, de tester la roche avant de mettre tout son poids dessus, de savoir comment effectuer un secours si on va explorer au-delà des sentiers bien définis et la liste continue.
 
Avez-vous le sentiment que la sécurité a fait défaut ou au contraire c'est un risque que chaque grimpeur se doit de garder en-tête lorsqu'ils grimpent les sommets des montagnes ?

Vous connaissez Ueli Steck ? Il était un alpiniste suisse, on l’appelait la machine suisse. Il a pulvérisé des records de vitesse en ascension, et il a même reçu le très prestigieux Piolet D’or à deux reprises. Cependant en 2017, il a perdu la vie en essayant d’établir une nouvelle route sur l’Everest. Et Dean Potter, ça vous dit quelque chose ? Il était reconnu pour ses escalades, son base jumping avec son chien, et aussi pour avoir pu faire un des vols de proximité (en wingsuit) un des plus dangereux au monde. Et pourtant après avoir réussi la première fois, il a perdu la vie sur un vol de proximité qu’il a réussi à la première tentative. Et cette année, plusieurs alpinistes chevronnées ont perdu leur vie en haute montagne dans l’Himalaya.

Ces personnes étaient les meilleurs au monde dans leur discipline au moment de leur mort. Les meilleurs au monde ! Et pourtant c’est en explorant à fond leur limite, qu’ils ont perdu la vie. C’est bien de pousser les frontières de ce qui est possible, de pousser ses propres limites. Mais en essayant de naviguer sur cette fine ligne qui sépare le possible de l’impossible, on peut se retrouver sur une ligne dangereuse. Si les meilleurs au monde ont payé ce prix, je pense, que nous nous devons de rester encore plus vigilant.
 

@ Tashil. Joseph marchant vers le sommet de Goat Rock
@ Tashil. Joseph marchant vers le sommet de Goat Rock
Auriez-vous des conseils à proposer à ceux ou celles qui n'osent pas tenter ce genre d'aventures, en cause : la peur de se faire mal ou le risque de faire une mauvaise chute ? 

Sachez d’abord que depuis le début, je faisais référence non pas à la simple randonnée mais plutôt à l’escalade, ou à des randonnées un peu techniques qui demande beaucoup d'effort.  Je dis cela parce que dans ces cas-là, une chute peut engendrer des blessure graves ou même la mort. Ces dernières années, il y a un petit nombre d’adeptes qui s'adonne à ce genre d’aventure. C’est très bien pour le sport mais faute de structure pour s'entraîner à l’île Maurice, il y a des risques.
C’est une chose de mettre sa vie en danger mais de là, à emmener d’autre novices avec soi, c’est de la folie. Par exemple, quand je fais le guide avec Outward Bound, je me dois d'être capable de porter secours à mon groupe en moins de 15 minutes quel que soit les conditions. Il est important de maîtriser certaines compétences. 

Pour revenir à votre question, pour ceux ou celles qui veulent débuter en randonnée, je conseille d’y aller. Les sentiers sont très bien balisés sur les montagnes comme le Pouce, montagne des Signaux ou encore montagne Cocotte. Il y a même les montagnes un peu plus techniques (le Morne ou Corps de Garde) où à certains endroits il faut se servir de ces quatre pattes. Il y a des groupes (comme Patloisir et TRAM) qui organisent des sorties presque chaque mois et ils connaissent bien les parcours. Il y a très peu de risques et à ce que je sache, il n’y a personne qui a perdu la vie en tombant sur ces parcours parce que c’est plutôt plat.
 
Quelles sont les conditions idéales pour profiter d'une belle randonnée. Y a-t-il un entraînement particulier en amont? Un régime alimentaire avant de grimper une montagne ? 

 Je ne vais pas entrer dans les détails parce que je ne suis pas un bon exemple à suivre, j’aime trop manger. Mais écoutez et réagissez à ce que votre corps vous dit. Si vous n’être pas trop en forme, une simple balade en forêt près d’Alexandra Falls fera l’affaire ; le parcours est plat, à l’ombre et il y a de l’air frais, quoi demander de plus. Le plus important c’est d’apprécier la petite sortie en nature.

Quel est votre prochain challenge après avoir grimpé les plus hauts sommets du monde ? 

Je n’ai pas encore grimpé tous les plus hauts sommets du monde, bien loin de là au contraire. Le prochain défi est le Mont Trishul a 7,120m en septembre. On va le faire sans guide et sans support au-delà du camp de base à 4060m. A cette altitude, les risques sont multiples et on se prépare à toutes les éventualités, tempête de neige, rafale ou même avalanche. Souhaitez nous bonne chance.
 
Bonne Chance ! Merci pour votre temps, un dernier mot peut-être?

Une citation, une phrase de Ed Viesturs ‘Getting to the top is optional, getting down is
mandatory’.

Pour plus d'info : si l’escalade vous intéresse, il y a une communauté de grimpeur a l’île Maurice qui organise des sorties tous les weekends : ‘Mauritian Rock-Climbers’. Et si vous voulez faire les montagnes un peu plus difficile genre le Pieter Both, rapprochez vous de ceux qui ont une formation professionnelle pour vous encadrez : Vertical World ou Otelair.

A propos de : Teshil Gangaram est un instructeur d’escalade licencié par la Singapore Mountaineering Federation. Il a été formé à l’Australian School of ountaineering, le centre Plas Y Brenin en Ecosse, et en Himalaya.


Il a été instructeur à l'Outward Bound Singapore pendant 4 ans où il a encadré des groupes dans des parcs d’aventure et auprès des Freelancer. Ce jeune Mauricien continue d'accompagner des groupes sur les hautes montagnes de l’Himalaya, d'Afrique, de Malaysie et d’Indonésie entre autres.
 

Mercredi 17 Juillet 2019

Nouveau commentaire :

Règles communautaires

Nous rappelons qu’aucun commentaire profane, raciste, sexiste, homophobe, obscène, relatif à l’intolérance religieuse, à la haine ou comportant des propos incendiaires ne sera toléré. Le droit à la liberté d’expression est important, mais il doit être exercé dans les limites légales de la discussion. Tout commentaire qui ne respecte pas ces critères sera supprimé sans préavis.


LES PLUS LUS EN 24H