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Un autre regard

[Richard Rault] Les dessous d'une fuite


Rédigé par Richard Rault le Mercredi 19 Octobre 2022



Les révélations du rapport Mungroo-Jugurnauth, découlant de l’enquête judiciaire sur l’assassinat de l’ex-agent du MSM, Soopramanien Kistnen, sur Teleplus auront mis en exergue ce que le député Nuckchady qualifie de « priorités pour le gouvernement », par opposition à celles du bureau du DPP, lequel vient d’émettre un communiqué des plus courageux.

Notre Garde des Sceaux s’est en effet fendu de commentaires acerbes sur la fuite du rapport dans le public, lors de sa conférence de presse depuis le Sun Trust Building, le samedi 15 octobre.  Oubliant sa fonction pour prendre sa casquette de Secrétaire General du MSM, notre ministre de la Justice s’offusque que ce rapport, selon lui ultra confidentiel, ait pu être commenté la veille en long et en large sur les ondes de Radio Plus par les principaux journalistes de la plus populaire de nos chaines radios, avec en tête son rédacteur en chef Nawaz Noorbux.

A l’heure où ces lignes se couchent sur ce clavier, nous ignorons tous ce qu’il adviendra de la convocation au CCID de M. Noorbux et probablement ensuite de ses principaux collaborateurs de la chaine des hauts de la rue Labourdonnais. On ne peut que se demander quel serait le crime commis en effet par lesdits journalistes qui auront frappé un grand coup et effectué un magnifique travail de journalisme d’investigation sur la plus que ténébreuse affaire Kistnen.

Surtout dans le sillage du fameux communiqué émis ce lundi par le bureau du DPP qui prenait l’Attorney General à contre-pied. En effet, revendiquant la prérogative exclusive de décréter secret les éléments d’un rapport d’enquête judiciaire, notre DPP éclaire le public sur la possibilité de publier de tels rapports, comme son bureau l’avait déjà fait en 2015 sur les inondations meurtrières de 2013. Et d’ajouter que ses services communiquent volontiers les rapports d’enquêtes similaires aux tribunaux lors de convocations dans des affaires d’accidents de la route. En d’autres termes, il n’y a de secret que si le DPP le décide et d’ailleurs les sessions de l’enquête judiciaire auront été publiques et auront joui d’une très large couverture par nos médias. Quel délit auront donc commis ces journalistes ?

Du coup, les détails des conclusions et recommandations de la magistrate, pour audacieuses et courageuses qu’elles soient, n’auront pas surpris quiconque aura un peu suivi ce dossier. Quelles sont-elles ?

D’abord, enquêter davantage sur l’octroi de contrats publics par la STC, à la firme Neetesellec, dont les intérêts sont contrôlés par une dame réputée proche de l’ex-ministre du commerce Yogida Sawmynaden, la magistrate indiquant même de pots-de-vin ("kickbacks") au bénéfice de Sawmynaden ; que ce dernier aurait ourdi quelque machination pour que l’épouse de feu M. Kistnen soit faussement déclarée comme sa constituency clark, alors qu’elle n’a jamais touché le premier sou de l’allocation accompagnant une telle nomination ; que, par ailleurs, d’autres contrats de la STC aient été alloués au détriment des appels d’offres émises par Kistnen au profit du tandem Bonomally-Appanah, le dernier nommé étant le beau-frère du directeur de la STC, Jonathan Ramsamy; qu’au surplus, MM. Bonomally et Appanah faisaient l’objet de tentatives d’extorsion ou de chantage de la part du défunt, pour compenser ce qu’il estimait devoir lui revenir de droit ; également, éclaircir la présence ou non de ces divers protagonistes à Quatre-Bornes dans les environs des bureaux de M. Appanah le jour du meurtre, là-même où a disparu le défunt ; tout ceci sur fond d’absence ou de disparition d’images des cameras de Safe City sur tout le parcours entre Quatre Bornes et les lieux de la découverte du corps du défunt à Telfair ; également de la qualification trop rapide du drame en suicide, alors que des éléments probants, tendant vers le meurtre, se trouvaient disponibles même après le passage des services de la SOCO ; faire la lumière sur l’aboutissement du cadavre, non à la morgue de Candos, mais vers celle de l’hôpital Jeetoo, où l’autopsie fut effectuée par le Dr Sunnassee, parent de Ramsamy et d’Appanah ; enfin élaborer davantage sur la piste des fameux "Kistnen Papers", tendant à démontrer un évident dépassement des dépenses électorales lors des élections de 2019 dans la circonscription No.8 et susceptibles, à partir de ce témoignage post-mortem de l’ex-chef agent MSM, de remettre en cause l’élection du PM et de ses colistiers, soit l’ex-ministre du commerce et Mme Dookun-Luchoomun, actuelle VPM et ministre de l’éducation, élection faisant déjà l’objet d’une pétition électorale actuellement devant le Privy Council.

Ce rapport, véritable brulot, fut remis au bureau du DPP depuis, semble-t-il, novembre dernier, puis aux services de Police avec des directives spécifiques, le 26 janvier. Ce n’est qu’à présent que le rapport trouve son chemin dans le public que l’on nous annonce pour « bientôt » des poursuites sur l’affaire de faux Constituency Clerk. On aurait tendance à se dire que c’est enfoncer une porte ouverte et que les preuves sur cette question-là étaient des plus évidentes, ce malgré le besoin de préserver le principe de la présomption d’innocence. 

Cependant sur tout le reste, en particulier le meurtre, rien ! Car en plus ce drame s’est accompagné de la mort suspecte d’au moins deux autres fonctionnaires postés dans des départements s’occupant de "procurements". Et silence complet jusqu’ici des services de Police ! Circulez : il n’y a rien à voir…

Et c’est là que la conférence de presse de M. Gobin, confondant sa fonction d’AG et de SG du MSM, ne devient que plus choquante ! Accusant manifestement Me. Azam Neerooa, dynamique avocat du bureau du DPP dans l’enquête judiciaire, d’être l’auteur de la fuite, M. Gobin se targuait en outre de bientôt contacter la Cheffe-Juge (au nom de quoi le Judiciaire devrait-il se plier aux desiderata de l’Exécutif ?), pour demander que des sanctions disciplinaires soient prises par la JLSC et de menacer le/s auteur/s de la fuite de poursuites pénales pour conspiration à l’encontre de droits d’autrui. 

Halte là ! De qui parle-t-on ici ? Est-il question des suspects mis en cause dans le rapport ? Avons-nous bien compris que notre ministre de la Justice se sera insurgé de ce qui venait de se produire selon lui : qu’éventuellement les droits de suspects d’un meurtre pourraient avoir été atteints ? Chose inouïe, frisant une absurdité totalement ubuesque, c’est notre Garde des Sceaux qui se place en défenseur des droits des assassins de Kistnen ! Son collègue et ministre de la santé Kailash Jugutpal rajoutera une couche en venant proclamer l’innocence de M. Sawmynaden, pourtant identifié par la magistrate Mungroo-Jugurnauth, comme au centre d’une galaxie frauduleuse entourant l’assassinat de M. Kistnen.

On comprend encore plus mal l’ire de M. Gobin contre les auteurs de la fuite et en particulier contre Me Neerooa, dont la science aura mis en pièces la théorie du suicide et ainsi aidé à conforter le public dans la confiance à avoir dans les services de la Justice. Est-ce de son efficacité à remettre en cause la thèse du suicide que viendrait l’inimitié du ministre ? N’oublions pas en effet que les affres de l’affaire Kistnen auront entrainé la chute du copain Yogida, qui aura ainsi perdu son portefeuille au commerce. 

Outre que ceux qui auront fuité ce rapport mériteraient une médaille plutôt des remontrances, le communiqué du bureau du DPP remet bien les pendules à l’heure : il n’y a aucune infraction commise par aucun des officiers du Parquet et le DPP de s’insurger de cette manifeste tentative d’ingérence sur ses prérogatives, comme de combattre son indépendance. 

L’on se demande vraiment où sont les priorités de notre ministre de la Justice, n’est-ce-pas M. le député Nuckchady ? Sont-ce de combattre le crime ou de coincer ceux qui veulent dénoncer l’inertie de notre Police ? Notre Garde des Sceaux ne pipe pas mot sur l’absence de toute convocation des protagonistes en neuf mois pour donner leur version ni du moindre communiqué des services de Police sur leurs investigations de ce qu’il convient bien de dénoncer comme un « crime politique », selon les mots de la Veuve Kistnen à l’hebdomadaire Week-end. 

Pas davantage de réaction de M. Gobin quant au système défectueux d’appels d’offres sous le Public Procurement Act ! Système surexploité par l’inestimable Yogida Sawmynaden. Lequel présidait aux destinées du commerce lors du premier confinement en 2020, qui aura vu surgir notamment des appels d’offres, où l’on retrouve encore MM. Ramsamy, Bonomally et Appanah. Et pourtant on aurait cru que notre ministre de la Justice aurait estimé utile de venir nous rassurer sur l’utilisation de nos fonds publics ! 

Au final, nous trouvons une véritable volonté d’opacité sur tout ce qui concerne les dossiers gênants, mais ne fait que soulever plus de questions sur les agissements du gouvernement et la culture des affaires propre au MSM. Ce même gouvernement qui nous promet une Freedom of Information Act depuis les élections de 2014 !!!!
En fait, il y a un bizarre pacte social qui nous est ainsi proposé par la bouche du ministre de la Justice : faire l’impasse sur tous les abus, même en cas de meurtre, en échange d’un certain développement. Exactement comme en Russie sous Poutine ! On voit au bord de quel gouffre cela mène-t-il…

Mercredi 19 Octobre 2022

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