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Justice

«Race» dans la Constitution française : l’imprécision du DPP Satyajit Boolell et autres précisions


Rédigé par E. Moris le Vendredi 6 Juillet 2018

La publication de la newsletter du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) Satyajit Boolell est toujours suivie d’une effervescence médiatique. Les journalistes essaient par tous les moyens d’analyser, d’interpréter et de déceler la moindre formulation de phrase afin d’y voir une allusion, leçon ou remontrance à l’action du gouvernement.



Pour le grand public, Satyajit Boolell est avant tout le frère d’Arvin Boolell, un des cinq députés travaillistes qui a longtemps été ministre. Il est aussi le fils de feu sir Satcam Boolell, ancien vice-Premier ministre, ministre et leader du Parti travailliste.

Sauf que Satyajit Boolell, éminent juriste, occupe le poste de DPP qui est garanti par l’article 72 de la Constitution mauricienne.

Le titulaire est à la fois une sorte de Procureur général et un super juge d’instruction à la française, un magistrat chargé d’instruire à charge et à décharge les enquêtes judiciaires.

Entre autres compétences, c’est à lui qu’il revient, du moins le parquet qu’il dirige, de décider s’il y a lieu de maintenir (à charge) ou d’abandonner (à décharge) les poursuites criminelles retenues contre tous les citoyens inquiétés par la police, dont le plus connu s’appelle Navin Ramgoolam, ex-Premier ministre et actuel leader du Parti travailliste.

Le DPP n’est pas obligé par la Constitution de justifier ses décisions. Il peut néanmoins le faire à sa seule discrétion.

Comme Satyajit Boolell l’a fait dans sa décision d’interjeter appel au Privy Council contre l’acquittement prononcé par la Cour suprême, dans l’affaire MedPoint, en faveur de Pravind Jugnauth, devenu Premier ministre depuis.

Ici, ce n’est pas la personne qui a interjeté appel mais bien la fonction. A contrario, quand un mandat d’arrêt avait été émis contre la personne de Satyajit Boolell dans l’affaire Sun Tan, la Cour suprême avait interdit cette arrestation. Ici, la plus haute juridiction a protégé la fonction et non la personne. 

Le grand public serait ainsi tenter de se demander : sommes-nous tous égaux devant la loi ? 

La réponse se trouve à l’article 3 de la Constitution mauricienne qui énumère les droits et libertés fondamentales des citoyens «without discrimination by reason of race, place of origin, political opinions, colour, creed or sex». Ce principe, que les juristes appellent le «consensus républicain», est aussi consacré à l’article 1er de la Constitution française, qui dispose que «la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion». 

Ce principe connaît une exception en admettant des différences en fonction de ce que les citoyens «font» (métier, situation, statut…), jamais en fonction de ce qu’ils «sont».

C’est ainsi qu’Emmanuel Macron souhaite supprimer le terme «race» et, à l’occasion, le remplacer par «sexe».

Ce qui fait dire à Satyajit Boolell, dans la dernière newsletter du bureau du DPP, que la «décision avant-gardiste» du président français «may well be a source of inspiration for us on the occasion of the 50th anniversary of our own Constitution». Car, le terme «race» figure à l’article 3 de la Constitution mauricienne, qui prohibe déjà toute discrimination liée aux sexe.  

Pour Satyajit Boolell, il faut «follow the French», puisqu’il n’y a qu’une race : la race humaine.

Il a raison, et la procédure de révision constitutionnelle est moins contraignante à l’île Maurice. En France, c’est plus compliqué, contrairement à ce qu’écrit le DPP dans la newsletter : «Once approved by the National Assembly, Article 1 will do away with the term race.» 

Seule l’Assemblée nationale française ne peut pas réviser la Constitution. Si l’initiative revient au président sur proposition du premier ministre, elle doit être votée, d’une part, par les 577 députés de l’Assemblée nationale et, d’autre part, par les 348 membres du Sénat, en termes identiques. Cette révision ne deviendra définitive que si elle est approuvée par référendum. Le président peut contourner le référendum si trois cinquièmes des députés et sénateurs réunis en Congrès approuvent cette révision. Un député ou un sénateur peut aussi proposer une révision. Elle doit être à la fois approuvée par l’Assemblée nationale, le Sénat et par référendum.

Satyajit Boolell a raison de citer l’avocat français Mario Stasi, président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), qui rappelle que le terme «race» était utile contre l’idéologie nazie au lendemain de la seconde Guerre mondiale. En France, sa suppression est souvent évoquée. L’ex-président François Hollande en avait même fait une promesse électorale. Non tenue.

Emmanuel Macron a déjà lancé les procédures. Cette démarche est plus politique qu’autre chose, dans le sillage du mouvement mondial contre le harcèlement et les agressions sexuelles sur les femmes.  
 
A l’île Maurice, il n’y a pas qu’un mot qu’il faut supprimer dans notre Constitution. Des pans entiers doivent être améliorés ou introduits dans ce texte fondamental qui a été préparé en Angleterre dans le dos du peuple et imposé sans qu’il ne soit soumis par référendum à l’assentiment des Mauriciens.
 
Tout le monde a déjà oublié la crise au somment de l’Etat entre la présidente Ameenah Gurib-Fakim et le premier ministre Pravind Jugnauth ; crise qui a mis en lumière les lacunes de notre Constitution. Depuis près de quatre mois, l’île Maurice n’a pas de président. Il n’existe aucun délai pour remplacer un président qui a démissionné. Le poste de vice-président est-il nécessaire ? 

Faut-il améliorer notre mode de scrutin afin d’apporter plus de légitimité démocratique ?

Ex. : aux législatives de 2014, Shakeel Mohamed est élu en tête de liste au no 3 avec 7 174 voix. Son leader Navin Ramgoolam est battu au no 5 avec 20 093 voix, soit trois fois plus !

Nos députés doivent-ils être élus au scrutin à deux tours ? Quelle alternative au Best Loser System ? À quand un Constitutional Desk à la Cour suprême ? Doit-on pourvoir contrôler la constitutionnalité d’une loi avant sa promulgation ? Tout député ou groupe de députés, que ce soit de la majorité ou de l’opposition, doit-il pouvoir avoir l’initiative des lois ? 

Autant de questions qui méritent des réponses constitutionnelles, plus qu’une simple suppression d’un mot qui n’améliorera pas nos institutions ni modernisera notre démocratie.

Vendredi 6 Juillet 2018


1.Posté par A mon avis le 06/07/2018 22:45
Les modifications de la constitution française ne sont pas obligatoirement entérinées par referendum :

"Les révisions initiées par le président de la République peuvent être approuvées par référendum ou par la majorité des 3/5e des suffrages exprimés des deux chambres du Parlement réunies en Congrès."
http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/veme-republique/heritages/comment-reviser-constitution-aujourd-hui.html

2.Posté par A mon avis le 06/07/2018 22:52
"Pour Satyajit Boolell, il faut «follow the French», puisqu’il n’y a qu’une race : la race humaine. "

ERREUR ! il n'y a pas "UNE race humaine". La notion biologique de race ne s'applique pas aux humains. Il n'y a pas de race humaine. Nous appartenons tous à l’ESPECE humaine selon la classification biologique des êtres vivants.
Le terme de race est à bannir du vocabulaire pour désigner les humains.

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