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Opinion

[Opinion] Covid-19 : plus que de la brutalité policière, c’est la violence d’État


Rédigé par E. Moris le Jeudi 26 Mars 2020



Nous avons été les premiers et les rares à avoir dénoncé l’excès de zèle de la police s’agissant de faire respecter les consignes de confinement, puis du couvre-feu, deux des mesures importantes prises par le Premier ministre Pravind Jugnauth il y a une semaine pour stopper la propagation du coronavirus dans l’île.

Ces mesures étant une privation de liberté, voire une assignation à résidence d’une population de 1,2 million d’individus, elles sont une atteinte manifestement grave à la liberté d’aller et venir, laquelle est garantie par la Constitution. En temps normal, même s’il n’y a pas de hiérarchie entre les libertés, une telle atteinte à la liberté d’aller et venir est considérée comme inconcevable dans une démocratie moderne, c’est LA liberté des libertés, qu’on peut néanmoins déroger en ultime ressort, notamment quand l’ordre public est en jeu. 

«La liberté est la règle, la restriction de police l’exception !» résume la célèbre formule du commissaire Corneille dans une affaire datant de 1917 et qui reste la pierre angulaire de toutes mesures de police en France. 

Sauf que toute liberté n’est pas absolue, la liberté des uns s’arrête là où commence la liberté des autres. Telle dans la balance de la justice, c’est dans ce souci de mise en balance qu’il faut trouver la pondération entre les libertés que peuvent exercer, en même temps, les uns et les autres. Mise en balance, pondération, juste milieu, ce sont là quelques caractéristiques des mesures proportionnées que doit prendre la police, sous les ordres de son commissaire, et sous la supervision du ministre de l’intérieur, qui se trouve être aussi le Premier ministre. La proportionnalité des mesures de police, inventée par la justice allemande à la fin du 19e siècle, est un élément fondamental d’une démocratie moderne, elle doit être pratiquée par les gouvernants, mais surtout elle doit être sauvegardée par un pouvoir judiciaire indépendant.

Filmer des interventions policières pour faire respecter le couvre-feu, à coups de matraques et en utilisant un langage ordurier et de terreur, pour ensuite diffuser tout ça sur les réseaux sociaux, n’est pas une mesure proportionnée !

Près d’une trentaine de membres de la force régulière, aidés de la Special Mobil Force (SMF), pour défoncer une maison vétuste et terroriser des enfants et des femmes, lyncher deux hommes âgés, les embarquer manu militari et continuer à les tabasser dans une poste de police tout en les filmant, n’est pas une mesure proportionnée ! La proportionnalité se décline en un test à trois composantes : chaque mesure doit être nécessaire, adaptée et proportionnée. En cette période d’état d’urgence sanitaire, est-ce qu’il est nécessaire que la police fasse respecter le couvre-feu ? Oui, c’est nécessaire. Est-ce que les interventions de la police sont adaptées ? Oui, il faut des interventions fermes. Mais est-ce que les interventions dont la population a pu prendre connaissance, la plupart en rigolant et encourageant la violence, sont proportionnées ? Non, certainement pas, loin de là ! 

La brutalité policière, c’est un drame que connaissent même les démocraties modernes. Aux États-Unis avec des noirs abattus de sang froid, récemment en France pendant les manifestations des Gilets jaunes. 

À l’île Maurice, il y en a toujours eu : l’affaire Labonne au début des années 1990, celle où Kaya est mort à Alcatraz en 1999, en passant par la mort en cellule policière de Rajesh Ramlogun entre les mains des Raddhoa Boys en 2006 ou celle d’Iqbal Toofany en 2015, ou encore David Gaiqui, «battu, déshabillé et dénigré» devant une policière en 2018, et récemment l’accident de Wooton ayant fait un mort, dont on attend toujours les retombées de l’enquête promise par Mario Nobin. Ce que la population mauricienne a vu mercredi, l’arrestation d’une rare violence de deux hommes âgés, ce n’est pas une simple brutalité policière. Dans toutes les affaires précitées, il s’agissait de suspects cuisinés avec violence par quelques éléments de la police dans une cellule, loin des regards, que souvent on appelle des «brebis galeuses». 

Ce que nous avons vu mercredi c’est bien la violence d’État, et non une simple brutalité policière.

Une violence d’État, puisque tout a été planifié, orchestré et assumé. Planifié, puisque nous avons vu la force de frappe de toute une unité de la force régulière, aidée des soldats de la SMF, près d’une trentaine d’éléments au total. Orchestré, puisque la scène a été filmée par la police elle-même. Assumé, puisque la vidéo a été diffusée un maximum sur les réseaux sociaux pour choquer, faire peur, montrer sa suprématie, sa force de frappe. Cette violence d’État tient sur deux pivots, l’un fixe et l’autre mobile : le pivot fixe étant le ministre de l’intérieur, alors que le pivot mobile c’est le commissaire de police. Pour le premier, la fin justifie les moyens, comme pour effacer toutes ses bourdes et ses décisions à-peu-près et de tenir ceux qui ne respectent pas le confinement responsables de l’aggravation de la situation sanitaire. Pour le second, il doit venir justifier les moyens utilisés, en annonçant l’ouverture d’une enquête, dont on attendra les conclusions ad vitam æternam.

Les anciennes générations connaissent bien cette violence d’État, depuis les années 1980 contre une communauté qui n’adhère toujours pas à leur politique. Cette violence d’État est toujours d’actualité, puisque ce sang de terreur là coule dans les veines de la famille Jugnauth : coupe les doigts, «pisse lor dimunn», menaces, fraudes électorales, répression contre les opposants politiques, viol de la séparation des pouvoirs et non respect des institutions, mainmise sur la justice. Tabasser deux hommes âgés gisant par terre, dans une mare de sang, juste parce qu’ils n’ont pas respecté les consignes de confinement, il faudra rajouter ce sang-là aussi sur les mains de ceux qui nous gouvernent par la violence d’État.

Jeudi 26 Mars 2020


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