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Un autre regard

Attentat à Strasbourg : Témoignage de Rudy Chowrimootoo


le Vendredi 14 Décembre 2018

Une fusillade a fait au moins 3 morts et une douzaine de blessés mardi 11 décembre à Strasbourg, à deux pas du marché de Noël et du Parlement Européen. Témoignage de Rudy Chowrimootoo, d'origine mauricienne. Ce jeune chanteur et guitariste strasbourgeois de 28 ans, profitait du Marché de Noël et d’une gaufre rue des Grandes-Arcades quand l’attaque est survenue. Il livre son ressenti dans ce texte, initialement publié sur son profil Facebook et très largement relayé par les médias français et les internautes.



Une vue depuis l’endroit où était confiné Rudy Chowrimootoo.
Une vue depuis l’endroit où était confiné Rudy Chowrimootoo.
Je suis partagé entre le besoin d’en parler, et l’envie de ne pas dire un seul mot, de ne pas accorder la moindre place à ce drame qui n’est autre que le visage de la haine… Pas même dans un fil d’actualité Facebook, pas même dans une « story » sur les réseaux sociaux.

Mais je suis marqué, donc je vous raconte.

C’est essentiellement pour passer un message, qui je l’espère, brillera dans vos têtes comme une lumière qui vous tient éveillé et vous aide à percevoir que la vie est une fête qui devrait se célébrer chaque jour.

Hier soir était un de ces soirs où je n’avais qu’une envie : rester à la maison, regarder Netflix et ne rien faire d’autre… Mais les jours défilent et il fallait bien choisir un moment pour terminer les achats de Noël. Le mardi c’est parfait, il n’y a personne, en tout cas moins que le week-end ! Ce sera bien plus agréable.
« En ville, la soirée s’annonce plus agréable que prévue »
Dans le tram, j’étais de ceux qui ne sourient pas et font même la gueule. Je venais de me rendre compte que le chauffage de ma voiture ne fonctionne plus et que cela arrivait toujours au mauvais moment… Encore des frais…

Arrivés en ville, la soirée s’annonce plus agréable que prévue, déjà trois cadeaux de trouvés en seulement 15 minutes ! On l’aura notre bun au saumon du marché de Noël finlandais à Gutenberg !

À 19h j’avais retrouvé le sourire. Le Père Noël accomplissait sa mission en avance et nous avions hâte de les offrir. Le bun était très bon mais la gourmandise ne s’arrêta pas là.
« Une baguette flambée à deux ça va non ? » aussitôt dit aussitôt engloutie ! Le Christkindelsmärik place Broglie est magnifique.
– On se ferait pas un truc sucré encore ?, me demande Julia.
– bon ok on va chez Waffle, on sera pas déçu. »

« Le lieu de mon premier guitare-voix »

J’aime la rue des Grandes-Arcades. Avant je l’aimais déjà mais depuis que j’y ai chanté l’an dernier pendant le Marché de Noël. Quand j’y passe, j’y repense et elle sera toujours le lieu de mon premier guitare-voix en pleine rue.
– « Les gaufres Nutella ?
– C’est pour nous !
– Par contre ce sera à emporter car on on ferme dans 5 minutes.
– Aucun souci c’est parfait ! »

Trop gourmands, nous mangeons la gaufre juste en face. Pas proprement du tout, comme dab’… quand plusieurs détonations retentissent à notre gauche… Je crois tout d’abord à des pétards mais des personnes tombent au sol. Mon Dieu.

À ce moment précis, j’assiste à la scène qui se déroule à moins de 20 mètres, comme un spectateur qui ne réalise pas qu’il est acteur. Comme si le monde autour de moi était en mouvement alors que j’étais immobile, extérieur et non concerné… Les cris se multiplient et la panique se propage dans un brouhaha trouble.

Mon cerveau met du temps à percuter puis dans un moment de lucidité une voix se détache : « Rentrez ! Rentrez ! Rentrez !!! »

Tout redevient palpable, je me vois au milieu de cette scène et nous courrons nous réfugier à l’étage de Waffle Factory. Les trois employés et un jeune couple nous rejoignent. Nous nous enfermons dans la réserve. « C’est bon c’est fermé ne vous inquiétez pas, personne ne peut entrer, » nous précise un employé.

Les larmes coulent, les cœurs battent vite et la lucidité revient. C’est une fusillade.

Je tiens à insister sur ce moment parce que c’est le cœur de mon message.

Dix minutes avant nous étions à cet endroit précis, 10 minutes plus tard nous aurions été exactement à cet endroit aussi pour se diriger vers le tram, mais nous avons eu de la chance, c’est tout. Rien d’autre. Nous n’avons pas été plus réactifs, plus organisés, plus prudents. Non, nous avons seulement été chanceux.

Personne n’est préparé à cela. Il ne sert à rien de s’imaginer comment vous auriez réagi. Si cela arrive, vous devez agir vite oui… Si vous avez de la chance et que vous n’êtes pas les premiers touchés. Alors n’attendez pas que cela vous arrive, saisissez la chance que vous avez chaque jour, celle qui n’est pas visible. Celle que nous oublions trop souvent. La chance de VIVRE, de partager, de ressentir et de chérir ceux que vous aimez.

La vie est un jour qui se fête aussi souvent que votre soleil se lève.

Je n’oublierai jamais, mais la rue des Grandes-Arcades restera toujours pour moi le lieu emblématique de mon premier guitare-voix dans la rue mais quand j’y rechanterai, je penserai inévitablement à eux.

Soyons forts Strasbourg. 

Vendredi 14 Décembre 2018

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